Vers une définition universelle de l’IDM avec le dosage de la troponine ultrasensible

JIM Publié le 15/10/2019

L’avènement du dosage ultrasensible de la troponine cardiaque (hs-cTn) a changé la donne dans le diagnostic positif de l’infarctus du myocarde (IDM) à la phase aiguë au point d’influer sur sa définition universelle. Cette dernière régulièrement mise à jour distingue l’IDM de la souffrance myocardique « simple » qui se traduit par une élévation transitoire et « isolée » des taux de hs-TnT  au-delà du 99e percentile des valeurs de référence, constatée à au moins une reprise. Dans le cas de l’IDM, les variations des taux de ce biomarqueur s’accompagnent de signes relevant de la clinique, de l’ECG ou encore de l’imagerie cardiaque – invasive ou non-, voire de l’autopsie… et attestant de la mort cellulaire induite par une ischémie prolongée.

Trois types d’infarctus

Les méthodes de dosage actuelles des  troponines cardiaques sont d’une extrême sensibilité avec en retour une spécificité bien moindre laquelle n’est pas sans interférer avec le diagnostic d’IDM qu’il soit de type 1, 2 ou 3. La révélation du thrombus coronaire par angiographie ne concerne que les IDM de type 1 qui conduisent, en l’absence de contre-indication à l’angioplastie primaire.  Le type 2 correspond à l’existence d’un déséquilibre entre apport et besoins en oxygène du myocarde en l’absence de thrombose artérielle causale. Le type 3, pour sa part, correspond aux décès d’origine cardiaque survenant dans un contexte d’ischémie myocardique évolutive avant que les taux de hs-cTn ne soient disponibles ou pathologiques.

Forts de ces définitions, il est licite de s’interroger sur les répercussions  des nouvelles définitions de l’IDM dans la pratique médicale courante. Questionnement d’autant plus pertinent qu’aucun essai randomisé n’a évalué l’impact des recommandations actuelles en toute objectivité alors que celles-ci reposent sur une stratification du risque guidée par des critères diagnostiques réactualisés. Que faut-il en attendre face à un syndrome coronarien aigu (SCA) en termes diagnostiques et pronostiques ? Quelle est la part de l’atteinte myocardique et de l’IDM dans les résultats ? Comment exploiter en pratique les répercussions prévisibles de ces progrès rapides ?

Ce qu’apporte le dosage de la hs-cTnT

C’est à ces questions que répond un essai randomisé en grappes avec permutation séquentielle (en anglais : stepped-wedge cluster randomized trial). Cette technique permet  d’évaluer avec la rigueur du tirage au sort l’impact d’une stratégie diagnostique complexe non pas dans une relation interindividuelle mais entre des centres spécialisés où cette stratégie est implémentée selon une permutation séquentielle aléatoirement prédéterminée.

Cette étude pragmatique a inclus in fine 48 282 patients chez lesquels un SCA était soupçonné sur les arguments cliniques ou ECG habituels. Le dosage de la hs-cTn a été ajouté au fur et à mesure au fil du temps dans l’évaluation diagnostique et pronostique. L’évolution à 12 mois a été prise en compte à partir de la mortalité cardiovasculaire ou autre, mais aussi de la survenue d’un IDM selon les catégories diagnostiques définies lors du bilan inaugural.

L’implémentation du dosage de la hs-cTnT a augmenté de 11 % le diagnostic d’IDM de type 1 (510/4 471), de 22 % (205/916) pour l’IDM de type 2. Le diagnostic d’atteinte myocardique aiguë a été porté également plus fréquemment (+ 36 % ; 443/1 233) et il en a été de même pour les atteintes myocardiques chroniques (+ 43 % ; 389/898).

L’évolution à 12 mois diffère selon la catégorie diagnostique initialement définie

L’évolution à long terme a été étroitement liée à la catégorie diagnostique initiale. Le groupe témoin a été défini par l’absence d’atteinte myocardique biologiquement décelable. C’est en cas d’IDM du type 1 que le critère primaire – IDM + décès cardiovasculaire- a été le plus souvent atteint, le hazard ratio correspondant culminant à 5,64 (intervalle de confiance à 95 % [IC] 5,12 à 6,22). Cependant, les autres catégories n’ont pas pour autant été épargnées, puisqu’en cas d’IDM de type 2, le HR a été estimé à 3,50 (IC 2,94 à 4,15) et il en a été de même en cas d’atteinte myocardique aiguë, le HR étant alors de 4,38 (IC 3,80 à 5,05) ou encore d’atteinte myocardique chronique (HR = 3,88 ; IC  3,31 à 4,55). Par ailleurs, la mortalité non cardiovasculaire s’est avérée plus élevée en cas de souffrance myocardique aiguë, le HR correspondant étant en effet estimé à 2,65 (IC 2,33 à 3,01).

Dans le groupe IDM de type 1, le recours un peu plus fréquent aux anti-agrégants plaquettaires et à la revascularisation myocardique du fait du dosage de la hs-cTnT  n’a eu aucun impact sur le pronostic à long terme, le HR étant de 1,00 (IC 0,82 à 1,21). Le diagnostic d’IDM de type 2 et d’atteinte myocardique n’a eu aucune répercussion sur le bilan initial, la prise en charge thérapeutique ou encore sur le pronostic ultérieur en dépit du risque cardiovasculaire élevé.

Le dosage de la hs-cTnT et les recommandations sur la définition universelle de l’IDM permettent d’identifier de plus en plus de patients à haut risque d’évènements cardiovasculaires ou non cardiovasculaires, indépendamment de tout IDM. Cependant, il ne semble en résulter aucune amélioration pronostique à long terme quelle que soit la catégorie diagnostique. Il importe de considérer que toute élévation significative de ce biomarqueur dans le contexte d’un SCA témoigne d’un risque cardiovasculaire élevé nécessitant un bilan cardiaque plus ou moins approfondi selon le patient, son état clinique et ses facteurs de risque : la démarche doit rester pragmatique tout en étant vigilante.

Des études de prévention secondaire sont à l’évidence nécessaires pour préciser le caractère plus ou moins modifiable du risque encouru par les patients sans IDM du type 1, mais repérés par le dosage de la hs-cTnT. En pratique, la stratégie diagnostique actuelle n’a pas lieu d’être modifiée, même si cette étude pragmatique tend à en souligner le potentiel et les limites.

Dr Catherine Watkins